·                    5-Paul Larreya : "BE+ING est-il un marqueur d'aspect?" (ANGLOPHONIA N+ 6/ 1999).

Paul Larreya cherche la valeur fondamentale de BE+ING , c'est à dire , nous confie-t-il dans son introduction- " en termes guillaumiens le signifié de puissance dont sont dérivés tous les effets de sens de BE+ING" .Pour l'auteur de l'article cette valeur fondamentale est une valeur aspectuelle : il s'agit à ses yeux d'une vision focalisante d'un événement qui s'oppose à la vision globalisante exprimée par les formes simples du présent et du prétérite .

D'emblée deux remarques s'imposent : Larreya est à la recherche du signifié de puissance du marqueur BE+ING ou comme il le dit plus loin dans une note de "la valeur sémantique invariante". Ceci veut dire en clair qu'en lieu et place d'une ANALYSE des opérations métalinguistiques qui sont à la base de cette construction (ou de ce type de prédication) on aura des étiquettes intuitives du type "focalisation", "identification" , que sais-je encore. Dans ma thèse sur BE+ING (1976) j'ai d'une certaine manière fait sortir Gustave Guillaume du petit cercle de ses disciples proclamés en rendant hommage à la dichotomie valeur fondamentale (signifié de puissance) et effets de sens mise en avant dans les écrits et les leçons de ce grand linguiste visionnaire . Mais les conclusions auxquelles j'aboutissais dans ma recherche se démarquaient nettement de la conception guillaumienne : pour moi , il n'y avait pas de SIGNIFIE de puissance, de sémantisme fondamental mais un INVARIANT FORMEL, des opérations métalinguistiques qui débouchaient sur une structure sui generis de l'énoncé à partir de laquelle un calcul sémantique original était possible. Par la suite , nombreux furent les thésards qui confondirent allègrement les deux démarches. Tout dernièrement encore, au Colloque International de Linguistique Anglaise de Toulouse (juillet 2000) Wilfrid Rotgé , dans une communication qui ne manquait pas d'intérêt, partait en quête d'un "core meaning" qui trahissait une confusion regrettable des deux conceptions que j'ai rapidement esquissées ci-dessus.

L'article de P.Larreya comprend deux grandes parties:

1.      La valeur fondamentale de BE+ING

2.      Les effets de sens de BE+ING.

Pour l'auteur , ING exprime un point de vue sur l'événement désigné par le verbe et ses arguments syntaxiques. Voilà une définition qui est devenue banale depuis quelques années, c'est d'ailleurs la définition actuelle de l'aspect où les notions de durée et d'inachèvement ont été revues à la baisse. La "nouveauté" dans l'article que nous examinons ici c'est le fait que Larreya inclue les circonstants du verbe dans le prédicat en -ING: c'est un progrès par rapport au passé (mais l'auteur ne dit pas qui est à l'origine de cette façon de voir les choses; pas un mot n'est dit à propos de la portée de-ING qui est l'une des clés de ce problème). Ceci n'empêche pas Larreya de reprendre à son compte la durée limitée (action temporaire) de Twaddell (mais ce dernier n'a jamais prétendu fournir une analyse LINGUISTIQUE de la fameuse construction!). Il faut noter que l'auteur reprend à son compte, totalement ou en partie tout un e série d'étiquettes qui ont fleuri à propos de BE+ING dans la littérature grammaticale: à commencer par l'opposition qu'il met en premier Vision focalisante versus vision globalisante (le tout et la partie) qui ne date pas d'aujourd'hui, le "coups de projecteur", le "zoom" ou le "flash", la "saisie dilatatoire" que Lapaire et Rotgé ont repris à leur compte après C.Fuchs et d'autres Culioliens). Tout cela n'est pas de première fraîcheur et d'analyse point.

Côté "effets de sens", Larreya en voit un qu'il qualifie d'archi-effet de sens (tiens! Une autre "valeur fondamentale"?), à savoir la valeur d'identification. Il s'agit en fait de ce qu'on a toujours appelé valeur situationnelle , ce qui n'a rien de sorcier si on a attribué à l'énonciateur le rôle premier dans la genèse des énoncés en BE+ING. Ici Larreya s'en prend à la métalangue que j'ai utilisée il y a vingt ans pour rendre compte de cet élément "situation" : j'ai dit en effet que l'anaphore jouait un rôle important dans l'émergence de BE+ING et j'ai parlé d'anaphore textuelle (le sens courant d'anaphore) et d'anaphore situationnelle . Le but de l'opération était d'attirer l'attention du lecteur sur le fait que dans les deux cas il s'agissait d'un repérage de l'énonciateur, repérage à partir de la situation d'énonciation ou repérage verbal , textuel .Ceci aurait dû permettre de comprendre que dans les deux cas on avait affaire à du thématique, autrement dit que le prédicat en -ING était imposé en quelque sorte par la situation ou le contexte. Ceci est une querelle d'allemand car tout le monde a parfaitement compris que l'extension sémantique que j'ai fait subir au concept d'anaphore était due à mon désir de pointer pédagogiquement sur une valeur invariante ou une esquisse de valeur invariante. Mais il faut que je précise que je n'ai jamais proposé une explication de BE+ING basée sur la seule anaphore, textuelle ou situationnelle (c'est un déclencheur parmi d'autres).Ce qu'il faut comprendre c'est que l'anaphore permet de poser correctement le problème de -ING et donc de parvenir à une explication authentique du fonctionnement profond de ce marqueur. Tout le reste - et c'est le cas des propositions de Larreya- revient à considérer la langue comme codage du monde et à retomber dans l'assignation directe du sens : THIS exprime la proximité de l'objet, le présent simple une habitude, l'imparfait français une vision sécante etc…

Il faudrait reprendre chacun des énoncés commentés par Larreya pour montrer l'inadéquation de sa présentation du fonctionnement de BE+ING . Pour commencer l'archi-effet de sens d'identification s'effiloche très vite et se banalise car , d'après notre auteur, la forme simple peut très bien, elle aussi , relever de cette fonction : c'est le cas, nous-dit-on, de l'exemple suivant :"I don't know what John does every morning from ten to twelve at the Rose and Crown.Do you ?"-"Well, I suppose he chats up the bar-maid". A la suite de quoi on nous dit que là où les deux formes sont en concurrence, l'identification par BE+ING est plus spectaculaire (effet de "coup de projecteur"). Pour Larreya les deux énoncés suivants :

Every time you use your car you pollute the atmosphere

Every time you use your car you are polluting the atmosphere

Reviennent au même si ce n'est que la deuxième "se caractérise par une certaine dramatisation: "on semble pointer un doigt accusateur pour montrer la nature exacte d'un acte qu'on veut dénoncer". Eh bien , pas du tout , l'énoncé en BE+ING applique le prédicat nominalisé au sujet grammatical, c'est ce sujet qui est dans le collimateur, c'est de lui qu'il est question et non pas l'identification d'un acte qu'on veut dénoncer. Ceci me donne l'occasion de reprendre ce que l'on peut lire dans une note au bas de la même page où un excellent exemple , authentique reçoit une analyse totalement inadéquate. Voici cet énoncé:

A-"You're not saying much. You hardly do, you know, when I'm here."

B- "I 'm listening. I listen. I'm an écouteur" (P.Roth).

Pour P.L. l'opposition entre I'm listening et I listen "est simplement aspectuelle au sens étroit du terme", ce qui ne veut strictement rien dire. En réalité on a affaire ici à une distinction très délicate mais fondamentale , car elle conditionne la compréhension de ce qui distingue vraiment le présent en BE+ING de l'autre , dit présent "simple" (distinction que les manuels d'anglais de 6ème sont incapables d'élucider à l'heure actuelle!) : LISTENING est attribué au sujet "I" par l'énonciateur "I", l'énonciateur parle de lui-même et il a besoin d'une forme grammaticale susceptible de permettre cette qualification du sujet de l'énoncé (d'où la phase 2 de LISTEN) alors que dans "I LISTEN " c'est LISTEN qui est la raison d'être de l'énoncé, un LISTEN rhématique qui est le résultat d'un choix paradigmatique ouvert. Me vien à l'esprit un énoncé entendu sur Skynews pendant la période d'attente qui a suivi le vote du 5 novembre 2000 aux USA : imaginez le correspondant anglais de Skynews à Washington commentant les péripéties rocambolesques de l'après élection. On attendait ce jour-là le verdict de la Cour Suprême. Suspense donc. Et l'envoyé spécial de conclure sa prestation par un : "Still we wait"! Pourquoi n'a-t-il donc pas dit : Still we're waiting ? Tout simplement parce qu'il ne parlait pas du sujet WE, qui était sans intérêt, mais de l'ATTENTE.

Je m'en voudrais de ne pas signaler l'épigraphe que P.L. a placée en tête de son article où des formes en BE+ING et des formes "simples" se succèdent en cascades et dont je me dois de donner un petit échantillon :

"Elsa comes into the drawing-room. Paul gasps.She is wearing a flame-coloured crepe evening dress with dark beads gleaming at the hem and wrists.She wears a necklace and earrings made of diamonds and rubies…"

P.L. fait référence à cet épigraphe à la suite de l'énoncé que j'ai analysé ci-dessus et il écrit ceci: "On pourrait également s'interroger sur ce qui différencie les emplois des deux formes dans l'épigraphe du présent article". C'est peu mais c'était prudent car ce que Larreya dit à son lecteur à props des valeurs de BE+ING ne pouvait en aucune façon venir à bout de l'excellent épigraphe en question!

Tout ce qui est dit à propos du caractère temporaire de l'événement dans les énoncés en BE+ING déconcerte le lecteur car tantôt BE+ING marque le temporaire tantôt , toujours selon P.L., il ne le signale pas. Toujours est-il que l'énoncé N° 8 , à savoir :

(8) If you're living in Hong Kong or Singapore, you'd better tune in to shorter frequencies.

P.L. nous dit que cet énoncé n'implique pas que l'événement a un caractère provisoire. On veut bien . Mais le commentaire qui nous est proposé est totalement à côté de la plaque: ne nous dit-on pas que "l'emploi de BE+ING a tout simplement pour but et pour effet de privilégier la valeur d'identification " ? Et l'auteur de préciser, ce qui n'arrange rien, que "il va de soi que l'identification porte non pas sur le procès LIVE mais sur le circonstant "in Hong Kong or Singapore".

On se frotte les yeux et on ne comprend plus rien: ne nous avait-on pas dit que les circonstants devaient être inclus dans le prédicat? (voir supra) . C'est donc le bloc nominalisé LIVING IN HONG KONG AND SINGAPORE qui est attribué pour qualifier le sujet grammatical. On aurait à la rigueur pu admettre que l'identification concernait ce même sujet!

Je renonce à continuer ce petit jeu de massacre mais je suis contraint dire que même une paire minimale anodine telle que la suivante :

Our train leaves at 7.24

Our train is leaving at 7.24

Reste opaque magré les explications alambiquées de l'auteur . Nous voici revenus, vingt-cinq ans après, à la joyeuse époque de la grammaire anecdotique.