·                    6- Claude Boisson : "Le Concept de "Métalinguistique" dans la Linguistique Anglaise". (ANGLOPHONIA" 6/1999).

Cet article s'en prend sur des pages et des pages à mon concept de "métalinguistique" tel qu'il apparaissait il y a vingt ans dans ma première grammaire de l'anglais ("Grammaire Linguistique de l'Anglais", Armand Colin 1982) , mais passe allègrement sous silence tous mes écrits depuis lors. Il comporte dans sa deuxième partie une critique de mes théories de BE+ING et de DO (entre autres). J'ai répondu à cette libelle par un article intitulé : "Pour une Recherche authentique en Linguistique Anglaise" que la direction d'ANGLOPHONIA a bien voulu insérer dans le numéro d'ANGLOPHONIA qui est paru en février 2001 et dont on trouvera le texte intégral ci-dessous.

POUR UNE RECHERCHE AUTHENTIQUE  EN LINGUISTIQUE  ANGLAISE 

Réponse à l’article de Claude Boisson :

« Le concept de « métalinguistique » dans la linguistique anglaise »

ANGLOPHONIA 6/1999

 Introduction :

 La « linguistique anglaise » dont il est question dans l’article de C. Boisson est essentiellement la linguistique anglaise selon Henri Adamczewski, comme l’annonce clairement l’abstract en langue anglaise qui figure en tête de la prestation : « This article is a detailed examination of the uses of « metalinguistic » and « metaoperation » in English linguistics, mainly in the work of Henri Adamczewski and his followers ». Dans son résumé, C.Boisson va jusqu’à suggérer  à H.A. de débaptiser sa « grammaire métaopérationnelle » car selon lui, l’étiquette prête à confusion, les termes « métalangue » et « métalinguistique » n’étant pas conformes au sens canonique que leur a donné le logicien polonais Tarski en 1930. (Dans ces conditions pourquoi en vouloir à « métaopérationnel » ? ).

            Ce qui ne manquera pas de frapper le lecteur linguiste c’est le paradoxe entre l’érudition époustouflante de l’auteur dans le domaine de la logique ( au terme de quatorze pages très denses munies de notes  abondantes C. Boisson lui-même se demande s’il « n’a pas donné le tournis «  à son lecteur ! )  et  la pauvreté de son information en linguistique anglaise, paradoxe d’autant plus choquant que la raison d’être de la première partie, consacrée à la logique, est d’amener une seconde partie  qui est une mise en question  systématique de la grammaire anglaise telle qu’elle apparaît dans les écrits de Henri Adamczewski. En effet  les points de vue qui sont la cible des assauts appuyés et répétés de C.B. ne sont plus d’actualité depuis pratiquement vingt ans ! Comme le savent tous ceux qui ont suivi de près le développement de ma théorie métaopérationnelle, la conception reposant sur l’équation PHASE 2 =  métalinguistique ne représente qu’une très brève étape de la théorie , notamment dans ma « Grammaire Linguistique de l’Anglais » (Armand Colin 1982, écrite en 1979-80) qui était, ne l’oublions pas, une présentation  de la grammaire de l’anglais où il fallait marier scientificité et pédagogie (pour certains, et ils n’ont pas tort, il s’agissait d’un brûlot qui inaugurait une approche inédite de la grammaire anglaise).La conception initiale  a été parfois  reprise voire exacerbée dans certains travaux de recherche de mes thésards et aussi dans des manuels de grammaire . On regrettera que C.B. n’ait pas abordé  les problèmes de linguistique anglaise avec le même sérieux que ceux de la logique : il ne suffit pas de CITER des travaux dans la bibliographie, encore faut-il les lire et les prendre en compte dans l’appréciation  que l’on donne du travail d’autrui !

 Claude Boisson est contre tout ce qui est pour. N’échappe à sa vindicte que mon concept de « langue naturelle » dont il dit à plusieurs reprises que s’il s’avérait conforme aux faits, il ouvrirait « des perspectives saisissantes ». Tout compte fait C.B. n’avance aucune contre-proposition  sérieuse face aux points qu’il soumet à sa critique : il s’agit d’une attitude franchement réactionnaire qui prend la défense du « prétérit modal » ou de la « forme progressive » ainsi que d’autres avatars de la grammaire dite traditionnelle. On constate hélas une ignorance totale des bouleversements intervenus en linguistique anglaise depuis 1950. Alors pourquoi tant de hargne, tant d’hostilité vis-à-vis d’une grammaire qui présente peut-être des défauts ou des faiblesses « terminologiques » mais qui, aux dires mêmes de mon censeur, a réussi des analyses originales hardies des faits de l’anglais, sans parler d’autres langues ( mais C.B. se situe , lui, dans une approche autarcique de l’anglais). .Je me vois contraint de lui rappeler que mes travaux sur BE+ING et sur DO, pour ne citer que  les deux problèmes qui ont marqué le début de mon aventure théorique, ont relancé la recherche : en effet, dans les années 70, la grammaire qu’il défend régnait sans partage et considérait ces questions comme définitivement réglées.

 Le contentieux terminologique :

            C.B. me reproche d’avoir détourné de leur emploi  initial en logique des termes comme « métalangue » et » métalinguistique ». Il nous dit que ces deux vocables ont été inventés en 1930 par Alfred Tarski , ce que je ne mets pas en doute un seul instant. Pour Tarski, il y a d’un côté :

            -« le langage dans lequel nous parlons » (langage-objet)

et, d’autre part :

            -« le langage sur lequel nous parlons », que C.Boisson traduit tantôt par « métalangage », comme cela se fait d’ordinaire (voir ouvrages de logique ou la traduction de R.Jakobson par Nicolas Ruwet), tantôt  , et abusivement selon moi, par « métalangue ». Evidemment le mot anglais « metalanguage » n’aide pas à simplifier les choses ! Donc sur ce premier point déjà C.B. induit son lecteur en erreur. Je reviendrai sur « métalangue » après avoir examiné le cas de « métalinguistique ».

            Tout le monde se souvient des fonctions linguistiques de Bühler : référentielle, expressive et conative, auxquelles Jakobson ajoute les fonctions phatique, poétique et métalinguistique (« Essais de Linguistique Générale », ed. de Minuit 1963). On parle de fonction métalinguistique lorsque le message renvoie au code : « Paris est un mot de cinq lettres ». Pour Jakobson  ce métalangage est synonyme de glose et il nous dit qu’en font partie des demandes d’éclaircissement telles que : « que voulez-vous dire ? », « qu ‘entendez-vous par X ? » etc.

La thèse de Claude Boisson se résume à ceci : « les linguistes ne peuvent pas continuer à se dispenser d’un emploi rigoureux de ces termes »  et emboîtant le pas à Jakobson (ce qu’il ne dit pas !) il stigmatise « le caractère assez dangereux du concept de « métalinguistique  ». Jakobson avait dit, lui, que « le néologisme « métalinguistique » (nous sommes au début des années 60 !) est un peu dangereux, car « métalinguistique » et « métalangage » veulent dire tout autre chose en logique symbolique ». Mais le même Jakobson ajoutait avec humour : « Ne chicanons pas sur la terminologie(…) si vous avez un faible pour les néologismes, employez-en. Vous pouvez même appeler ceci « Ivan Ivanovitch » du moment que nous savons tous ce que vous voulez dire »(« Essais », op.cit.p.30). Je pourrais me contenter de la boutade jakobsonienne pour clôre ce faux débat mais je ne puis m’empêcher de souligner une contradiction étrange dans l’argumentation de C.B. Après m’avoir reproché mon non-respect de la métalangue des logiciens, mon censeur reconnaît « que le recours direct et massif à l’appareillage logico-mathématique pour l’édification de la linguistique elle-même n’a guère donné jusqu’ici (…) de résultats probants ». Inutile de dire  que je partage entièrement ce point de vue . La linguistique a connu une période où l’on misait beaucoup sur le « logico-mathématique »  à la fin des années soixante . A vrai dire j’avais moi-même  cédé à la séduction en  demandant et en obtenant la création à la Faculté des Lettres de Lille d’un séminaire de logique destiné aux linguistes

 Métalangue et métalangue naturelle : 

Le terme de métalangue s’emploie depuis des décennies en linguistique comme dans bon nombres d’autres disciplines : on parle de la métalangue des physiciens ou des astronomes au même titre que de celle de telle ou telle école linguistique. J’ai personnellement toujours opposé métalangue à terminologie, cette dernière étant une liste ad hoc d’étiquettes  qui n’engagent à rien . Pour moi  des « notions » telles que « prétérit modal », « forme progressive », « infinitif complet », « forme fréquentative » etc. sont des exemples de la terminologie grammaticale pré-linguistique utilisée pour décrire l’anglais. En revanche une métalangue dépend de la théorie qui l’a engendrée : il y a une métalangue propre à chacune des « époques » de la grammaire générative , une métalangue spécifique de la théorie culiolienne des opérations énonciatives, et une métalangue caractéristique de la théorie métaopérationnelle ( phases, rhématique/thématique, double clavier , relations binaires ou ternaires, principe de cyclicité, invariants translangues etc.).

            La métalangue naturelle , elle, est interne aux langues . Elle  se réfère aux outils abstraits que les langues mettent en œuvre pour expliciter les opérations de structuration de l’énoncé, aux traces en surface qui nous renseignent sur le fonctionnement profond des langues. Le métaopérateur DO est le prototype parfait de cette algèbre secrète puisque loin d’être un mot explétif ou un « dummy », il concrétise en surface une opération de prédication pour laquelle l'anglais est pratiquement la seule langue à disposer d'un marqueur spécifique (le verbe TUN dans certains dialectes allemands  a des emplois qui correspondent partiellement à ceux de DO) .

            Le concept de « métalangue naturelle » , contrairement à celui de « métalangue » tout court, a  séduit mon censeur  qui  en fait l’éloge à plusieurs reprises , comme pour compenser le caractère négatif de son argumentation principale . Voici deux jugements qui viennent s’ajouter à celui que j’ai déjà cité supra :

-         « Adamczewski présente comme un des éléments centraux de son modèle de grammaire métaopérationnelle l’idée brillante et peut-être profonde que la langue comprend dans son propre fonctionnement une « métalangue naturelle » ».

-         «  C’est ce séduisant concept de « métalangue naturelle » qui constitue une des spécificités majeures de la grammaire métaopérationnelle d’Adamczewski, et la plus importante d’entre elles, étant proprement définitoire ».

Claude Boisson a lu  mon avant-dernier ouvrage « Genèse et Développement d’une Théorie Linguistque » (TILV 1996) puisqu’il cite ce que je dis à propos de la plus ou moins grande visibilité de la métalangue naturelle dans les langues : « Les Langues diffèrent quant au fait qu’elles sont plus ou moins généreuses quant à la présence visible de leur métalangue naturelle ». Non seulement je parle de « générosité métalinguistique » (les langues « parlent » de leur fonctionnement) mais j’ai même forgé « métalinguisticité » dont C.B. ne dit rien.

            Je pense qu’il n’est pas inutile de rappeler ici la genèse du concept de métalangue naturelle . Je parle de métalangue NATURELLE, comme l’on parle des langues NATURELLES  ou des classes NATURELLES en phonologie jakobsonienne. Voilà pour l’étiquette elle-même. L’existence d’une signalisation métaopérationnelle dans le discours, à l’aide d’éléments de langue  spécialisés dans cette fonction, s’est imposée à moi  lors de mes recherches sur BE+ING et sur DO (1970-77).

            -BE+ING : J’ai parlé d’invariant formel dans ma thèse (1976) . J’étais donc arrivé à la conclusion que BE+ING (et plus exactement –ING) ne manifestait pas une valeur sémantique fondamentale à la Guillaume (valeur que certains continuent de chercher « désespérément » : voir la communication de W.Rodgé au Colloque de Linguistique Anglaise de Toulouse (juillet 2000)) mais qu’il s’agissait d’un marqueur de thématicité , c’est à dire d’un signal de fermeture du paradigme avec les conséquences que l’on sait : portée de –ING sur tout le groupe verbal et non pas le verbe seul (d’où relation prédicative binaire liée par BE), orientation-sujet de l’énoncé etc.

-         DO : En 1974 dans « Esquisse d’une Théorie de DO » j’ai  montré que la grammaire générative , pas plus que la grammaire descriptive traditionnelle, n’avaient pas su saisir l’importance de cette manifestation en surface d’un outil majeur de la grammaire de l’anglais, certes, mais également d’un élément qui était la preuve tangible de l’existence d’opérations de structuration dans les langues en général.

Claude Boisson ne dit pas grand’chose à propos de DO . Il ne dit rien non plus des métaopérateurs  français « à » et « de » dont j’ai montré la fonction métalinguistique (clignotant droit et gauche) dans les couples verbaux du français V1à/deV2 (mais « mon « Français Déchiffré » ne figure pas dans la bibliographie). Rien non plus, et pour cause, sur le métaopérateur BIEN ou sur le « I » du polonais et du russe. Au lieu de cela, très curieusement, C.B. commence sa critique de ma « Grammaire Linguistique de l’Anglais », publiée je le rappelle il y a près de vingt ans) par la problématique du soi-disant « prétérit modal », création totalement fantaisiste de la grammaire traditionnelle. Le lecteur ne trouvera rien par contre   à propos de l’originalité que revendiquait l’auteur de GLA , à savoir l’existence d’un avant-propos théorique ( chose  complètement inconnue dans les traités de grammaire), d’une programmation de l’information grammaticale (séquenciation des problèmes grammaticaux ), d’une présentation explicite des différents chapitres et de leur enchaînement …

 Les cibles  grammaticales de C.Boisson :

            Je vais examiner maintenant les critiques formulées par C.B. à l’adresse de la grammaire métaopérationnelle, c’est à dire très précisément de GLA. Trois problèmes de grammaire anglaise  ont été choisis pour montrer  , en gros, que ce que la grammaire descriptive traditionnelle  en dit est tout à fait adéquat et que GLA ne fait que compliquer les choses . Les trois points retenue par C.B. sont les suivants : le prétérit modal, les articles et les énoncés en BE+ING.

1- Le prétérit modal :

            Commencer sa mise en question de GLA par la défense d’une étiquette de ce type, caricaturale d’une terminologie ad hoc et totalement opaque, surprend après le sérieux de la partie logico-mathématique. On pouvait à la rigueur s’en prendre à  « métalinguistique » et défendre l’orthodoxie définitoire de la logique (mais Jakobson l’a fait il y a près de quarante ans avec beaucoup d’humour, mais à propos de la linguistique des années 50) mais ne pas voir l’inadéquation radicale de « prétérit modal », voir une explication dans une étiquette dont la raison d’être n’était que de camoufler l’incapacité de la grammaire descriptive à analyser ce phénomène grammatical (comme beaucoup d’autres d’ailleurs, pour des raisons évidentes) et d’autre part ne pas avoir compris la distinction non-présupposant – posé et présupposant-présupposé  après avoir lu GLA,  me laisse sans voix. J’ai insisté à maintes reprises sur le fait que je me situais dans le cadre des opérations de mise en phrase (structuration de l’énoncé de surface) . « Passé métalinguistique » me paraît parfaitement intelligible dans cette optique puisque voilà un marqueur -ed qui d’indice chronologique renvoyant au révolu devient un outil métalinguistique s’appliquant à la mise en relation en quelque sorte anticipée des éléments de la subordonnée dans it is high time you sold your car ou dans I wish I knew the fellow’s name. En termes jakobsoniens le message renvoie ici au code, c’est à dire au fonctionnement profond de la langue, d’où le caractère tout à fait licite de l’emploi de « métalinguistique ». Au fond , au lieu de me reprocher d’utiliser abusivement  l’adjectif en question, C.B. aurait dû me féliciter d’avoir enrichi son sémantisme somme toute très banal à l’origine ! Dans GLA j’ajoutais des considérations contrastives qui éclairent le comportement de ces prétérits qui surprennent l’apprenant . En français le premier énoncé ci-dessus présentait un subjonctif dans la subordonnée :

            Il est grand temps que tu venDES  ta voiture

Ce que montre la grammaire française ici c’est l’absence d’ASSERTION dans la subordonnée : c’est d’ailleurs là la raison d’être du subjonctif dans les langues . L’anglais moderne, faute d’une morphologie spécifique, a recours ici à une forme verbale au prétérit car une forme de non-présent représente une perte d’assertivité évidente . Quant à     « passé présuppositionnel », je l’ai avancé pour rendre compte  de ce que j’ai expliqué supra, à savoir non pas le passé « posé » comme dans I visited the British Museum yesterday mais un passé « présupposé », préconstruit  au sein de la subordonnée dépendante de l’énoncé introductif modalisant « it is high time ». Pour prendre un exemple simple en allemand on dira que le négateur NICHT est posé dans (1) et « présupposé » dans (2) :

            1-Er versteht nicht (il ne comprend pas)

            2- Ich glaube, dass er nicht versteht (je crois qu’il ne comprend pas).

J’ajouterai que je m’inscris en faux contre l’affirmation de C.B. selon laquelle « le catalogue des opérations mentales atteint par les linguistes spécialistes de telle langue est en bijection avec le catalogue des opérateurs d’une langue ». La contrastivité est au centre du modèle métaopérationnel , comme le montrent clairement les analyses proposées ci-dessus.

            Répondre point par point à tous les problèmes soulevés par C.B. est impossible dans un article d’une longueur raisonnable. Comme je l’ai souligné  dès l’introduction,  mon censeur s’est volontairement limité à GLA, écrit il y a vingt ans : or, GLA est un document complexe mettant en œuvre une révision complète de la grammaire de l’anglais et donc présentant une image totalement différente des grammaires en usage . En écrivant cette grammaire je devais non seulement présenter une vision globale cohérente de l’anglais mais inventer une démarche pédagogique et une métalangue progressive tout en préservant l’essentiel de l’ambition scientifique. Je suis parfaitement conscient du caractère expérimental de certaines étiquettes et des imperfections ou lacunes de la présentation mais j’aimerais être repris sur des points prêtant à discussion véritable , et non pas sur des questions futiles qui ne font qu’occulter l’essentiel.

            Tout censeur, c’est bien connu, ne peut se livrer à ses critiques …sans « livrer » ses convictions les plus profondes. Continuons donc à explorer la vision que C.B. a de la grammaire de l’anglais en examinant brièvement ce qu’il a à dire sur les articles. 

Les articles A et THE :

            C.B. ne souffle mot du double clavier et des deux phases  alors que « Clefs pour Babel » figure dans sa bibliographie. Face au microsystème  a / the  correspondant aux phases rhématique et thématique qui gouvernent un très grand nombre de phénomènes grammaticaux en anglais , C.B. propose l’opposition NEW / GIVEN qui renvoie à l’extralinguistique  et met en avant la notion de « shared information »  qui ne relève pas, elle non plus, de la grammaire. Il  fait appel à une terminologie du début du siècle qui ne manque pas d’intérêt (article indéfinissant et article définissant) mais qui  n’a aucun pouvoir explicatif. Là comme ailleurs C.B. est prisonnier de l’énoncé linéaire, et la distinction entre énoncé et phrase n’a pour lui aucun sens. Qu’a-t-on besoin d’aller chercher des complications en amont de la phrase terminale et inventer de soi-disant opérations métalinguistiques ? Pour lui l’énoncé linéaire EST le message . La grammaire générative  a malheureusement hérité de la grammaire descriptive  cette même tendance à vouloir générer des phrases par concaténation pure et simple avec comme conséquence, malgré l’introduction de la notion de structure profonde, une cécité totale  en ce qui concerne la signalisation métalinguistique des opérations de l’amont. « Métalinguistique » ! C.B. voit rouge dès que j’emploie ce terme  qui pour moi est lié à l’existence d’une métalangue naturelle que le linguiste doit déchiffrer et à expliciter pour parvenir au message.  UN et L-  sont bel et bien des métaopérateurs qui chiffrent des opérations différentes, le premier , non-présupposant, signalant un paradigme ouvert , le second, présupposant, indexant un paradigme fermé. En lieu et place d’une critique constructive, je trouve chez mon censeur un attachement viscéral à la grammaire traditionnelle, une pseudo-grammaire faite de constatations banales et d’appels constants au sens intuitif  qui la rendent tout simplement circulaire. Cette pauvreté théorique , nous allons la retrouver dans les pages que C.B. consacre à la défense de la « forme progressive » .

 BE+ING :

            Claude Boisson n’a pas suivi les développements de ma théorie de BE+ING depuis GLA mais cette grammaire, bien que parue en 1982, offre l’essentiel de ma position sur ce problème (il y avait eu ma thèse sur ce sujet en 1976 et des articles divers). Ce qui chagrine mon censeur c’est toujours et encore le métaterme « métalinguistique » : « Avec les énoncés en BE+ING on serait dans le métalinguistique », relève-t-il. Ce que j’entendais par là en 1973-76, c’est que les énoncés en BE+ING étaient des constructions sui generis dont une analyse linéaire en trompe-l’œil avait tout bonnement calqué la structure sur celle des énoncés SANS BE+ING  (toujours la bonne vieille linéarité !) :

            Peter                opened                     the safe

            Peter                was opening             the safe

 Cette façon de faire propre à la grammaire descriptive comme aux grammaires structurale et générative a bloqué toute compréhension du phénomène pendant des décennies  . Que l’on me comprenne bien : je ne reproche rien aux dites grammaires , qui correspondaient à une épistémologie partagée par toute la communauté des grammairiens . Ce qui me chiffonne par contre , c’est la longévité de points de vue dépassés, ce que Hubert Reeves appelle joliment « la résistance du paradigme ». C. B. s’accroche à la linéarité et aux pseudo-théories naïves qui en découlent : « posons-nous des questions simples » écrit-il . Voyons de plus près sa façon de voir  grâce aux gloses qu’il avance à propos du dialogue suivant :

A-    What’s he doing ?

B-    He’s mowing the lawn.

Pour C.B , qui me reproche d’interdire pratiquement « d’invoquer l’aspect progressif », la forme progressive concerne le seul verbe MOW et exprime « l’action » du personnage dont il est question. Tout ceci est résumé par un cri du cœur  que je me dois de reproduire ici : « Tout de même, le personnage A pose bel et bien une question sur l’ACTION du tiers personnage ». Et mon censeur d’ajouter : »Pourquoi diable Adamczewski veut-il nous interdire de comprendre en termes simples ce que disent ces phrases ? ». Ce à quoi je réponds très simplement : mais bien sûr, ce que clame C.B. est bien la traduction extralinguistique et événementielle de l’énoncé en BE+ING ! Mais où est la grammaire de l’anglais là-dedans ? Je ne résiste pas à la tentation de citer un « mot » d’élève de sixième face à l’énoncé suivant : You are forgetting your lighter : « où elle est l’action, monsieur ? ».

C.B. n’ignore rien de ma théorie de BE+ING puisqu’il  en énumère en les critiquant les principaux paramètres :  portée de –ING (tout le groupe verbal est concerné), statut thématique du groupe nominalisé par –ING, énoncé orienté vers le sujet grammatical c’est à dire que le complexe verbal en –ING est attribué au sujet par l’intervention de BE …C.B. a du mal à admettre que le sujet d’un énoncé en BE+ING soit dépossédé de son agentivité . Il en est ainsi parce que le sujet de l’énonciation est seul responsable de l’attribution du prédicat en –ING au sujet grammatical, parce que l’énoncé en BE+ING est binaire et que par conséquent la transitivité n’existe plus – d’où des effets collatéraux  qu’une analyse un peu sommaire a érigé en valeurs fondamentales . Pour s’en convaincre il suffit de comparer les énoncés en BE+ING aux énoncés SANS BE+ING (ceux où la tradition parle de formes « simples » (présent ou prétérits dits simples) :

            He comes back home, mows the lawn, washes his car and speeds off to London.

            Très curieusement, C.B. trouve que mes idées rendent merveilleusement compte d’exemples maintenant fameux tels que, par exemple :

When a girl of twenty marries a man close to eighty, it is obvious that she is marrying him for money.

L’enthousiasme de mon censeur est aussitôt tempéré par : « mais toutes les données peuvent-elles y être réduites ?

J’ai du mal à comprendre que même dans un mini-dialogue comme le suivant :

A-    What were you doing between 9 and eleven a.m. ?

B-     I was playing golf with a friend of mine.

C.B. ne voie pas que l’énonciateur s’applique à lui-même (JE parle de JE) le prédicat nominalisé PLAYING GOLF WITH A FRIEND OF MINE. Tout cela parce qu’il ne réussit pas à se défaire du schéma linéaire traditionnel où WAS PLAYING s’oppose à PLAYED comme « aspect progressif » à « aspect non-progressif » .C.B. s’est-il interrogé sur le terme « aspect » qu’il veut « invoquer » à tout prix ? Il n’est pas le seul à le faire : voir l’article de Paul Larreya dans ANGLOPHONIA 6/1999 : « BE+ING est-il un marqueur d’aspect ? » , voir aussi les communications lors des Journées d’Etudes de Charles V (   ) , en particulier celle de Pierre Cotte : « A propos de –ING et de BE ».

            A la page 178 le lecteur a droit à une très brève charge contre la théorie des phases, marquée par un lapsus très symptomatique.. Après avoir cité A.M. Santin-Guettier à propos de DO (c’est la seule allusion à ce métaopérateur exemplaire) : « Analyse de l’Anglais en Contexte, ed. Ellipses Paris 1994, Claude Boisson écrit rageusement : « Il ne manque plus que l’introduction des termes thématique/rhématique pour assister à la convocation de tous les termes-clés du modèle adamczewskien ». Le lapsus est dans l’ordre des termes dans mon vecteur des phases : ce que dit C.B. renvoie au couple thème-rhème qui a tenu la vedette en linguistique pendant cinquante ans (depuis les écrits de Mathesius 1929) et qui correspond grosso modo au couple « new-given » de Halliday, terminologie qui montre bien qu’il s’agissait d’une hiérarchisation de l’extralinguistique et non d’un principe grammatical. Je parle quant à moi de saisie rhématique (phase 1) et de saisie thématique (phase 2) dans cet ordre. Mon double clavier se situe au plan de la langue, donc de la grammaire et n’a rien de commun avec le couple thème-rhème qui relève du plan informationnel. Je reconnais volontiers que mon vecteur rhématique----thématique pouvait être mal interprété et c’est pourquoi j’ai parlé des deux phases ou des deux types de saisies. Entre nous soit dit la triade de J.M. Zemb :

            Thème--------  Phème--------------Rhème                                                   qui  qui est révélatrice du fonctionnement profond de la subordonnée allemande (et de bien autre chose) comporte les termes « thème » et « rhème » mais ne leur attribue nullement le sens de Mathesius. 

            Continuer ce petit jeu du chat et et de la souris pourrait devenir fastidieux. Les dernières pages de l’article-fleuve de C.B. me concernant représentent un jeu de bascule entre l’éloge (« L’auteur est souvent séduisant, voire convaincant et nombre de ses analyses sont d’une prégnance incontestable ») et le blâme (« il assimile sans précautions suffisantes Phase 2 et métalinguistique »). Sur ce dernier point je me suis expliqué dès  le début du présent article : très vite aussi bien la phase 1 que la phase 2 relevaient du statut métalinguistique et le microsystème qui , au départ, se limitait à BE+ING et DO (ce qui explique les premiers pas de la théorie et l’appel au métalinguistique pour les énoncés en BE+ING et DO) s’est enrichi au fil des recherches et est devenu un invariant systématique de la grammaire anglaise d’abord puis d’autres langues à commencer par le français (voir les tableaux des deux phases pour l’anglais et le français  dans « Clefs pour Babel »), pour finalement se révéler un invariant translangues , candidat à la grammaire universelle.

            Que penser de l’article aigre-doux de Claude Boisson ? L’aigre, voire le malveillant  (je pense ici à une allusion au « built-in metalanguage » de Longacre (1983)  qui , de façon scandaleuse, est apparié insidieusement par C.B. avec mon concept de métalangue naturelle), l’emportent nettement sur le doux, malgré ici et là un effort de camouflage un peu trop voyant. J’estime que la méthode qui consiste à donner des coups d’épingle désordonnés et passionnels dans un édifice en construction depuis vingt cinq ans au vu et au su de tous les anglicistes relève d’une intention polémique stérile qui n’a pas grand’chose à voir avec la recherche linguistique. La quarantaine de pages de C.B. n’apporte strictement rien à la compréhension de la grammaire anglaise, tout lecteur averti en conviendra.

 

Henri Adamczewski

Professeur émérite à l’Institut du Monde Anglophone

Université de la Sorbonne Nouvelle