·         9- Ronald Langacker: The English Present Tense (Conférence Plénière : Colloque de Toulouse, juillet 2000).

Ronald Langacker est connu principalement pour les deux volumes de son imposante grammaire cognitive : "Foundations of Cognitive Grammar" (Vol .1 : Theoretical Prerequisites (1987); Vol.2 : Descriptive Application (1991) , en tout 1100 pages ), publiée par Stanford University Press. La première fois que j'ai parlé de lui en DEA c'était à propos d'un article que j'avais trouvé intéressant intitulé "Space Grammar" , dont je n'ai hélas plus les références.

La première remarque que l'on peut faire concerne le titre de la conférence : n'est-il pas surprenant de voir le présent dit "simple" (!) retenu comme sujet d'une conférence savante en l'an 2000 ? Je suis sûr que la chose laisserait sans voix plus d'un professeur d'anglais de France et de Navarre!

Mais revenons aux choses sérieuses. Je ne cacherai pas à mon lecteur que pour moi qui ai lu Langacker (et d'autres linguistes se réclamant peu ou prou de la grammaire dite "cognitive") cette approche de la grammaire n'est ni plus ni moins l'héritière des approches traditionnelles, taxinomiques, atomistiques et anecdotiques , et ce malgré la mise en place d'une terminologie et d'une façon de faire (beaucoup de diagrammes par exemple) qui se proclament innovantes. Ce que je constate , c'est que pour Langacker L'ENONCE LINEAIRE EST LE MESSAGE , que la grammaire ne comporte ni structures profondes ni chiffrement d'opérations abstraites ("Cognitive grammar claims that grammatical structure is almost entirely overt" op.cit.Vol.1,p.46). On va donc retrouver les pratiques les plus traditionnelles , en particulier ce que j'appelle l'assignation directe du sens avec les "laundry lists" d'effets de sens , simples étiquettes ne reposant sur aucune analyse grammaticale sérieuse. On chercherait en vain l'ombre d'une relation prédicative: ici il y a le GN sujet, le verbe et le reste. Les verbes sont perfectifs ou imperfectifs, sémantiquement, ce qui obligera le grammairien à des exercices d'équilibrisme lorsque le verbe imperfectif sera employé perfectivement et réciproquement. Ceci n'est pas nouveau : on trouve la même démarche chez les grammairiens des langues slaves qui s'accrochent eux aussi désespérément à la dichotomie imperfectif/perfectif.

Dans sa conférence Langacker veut montrer que le "present tense" mérite son nom car il s'applique bien à l'expression de procès qui coincident avec le moment de parole . On retrouve ici l'intuition de J.L.Austin qui a contribué à remettre le problème -plus exactement une partie du problème- sur le tapis : le présent "simple", qu'on avait relégué un peu vite (et que l'on continue de reléguer dans nos classes de sixième!) à l'expression des habitudes et des vérités générales, présente des emplois incompatibles avec cette "explication". Il s'agit d'enoncés bien connus comme:

I order you to open that door

I promise that I will quit smoking etc.

So far so good , ces choses-là sont connues , même s'il n'est pas inutile de faire remarquer que la juste constatation de Austin ne constitue en rien le moindre début d'explication du fonctionnement global du présent. Langacker propose des énoncés qui n'entrent pas dans la classe des performatifs, tels que :

Now I raise my hand. Now I lower my hand etc.

I pick up a sheet of paper and I fold it in two…

Là les commentaires se font beaucoup moins assurés, qu'on en juge:

"the speaker and hearer are together in a fixed location, and report on actual occurrences they observe in the world around them". Retour à la grammaire anecdotique…

Très vite la belle coincidence avec l'acte de parole s'effondre et il faut ramer pour sauver la face: c'est ce que fait Langacker en proposant toute une liste de "non-present uses of the present" :

Their plane arrives at noon.

Hamlet moves to center stage .He pulls out a dagger…

First I take two eggs…

Il est bien obligé de dire que ce qui est codé ici ce ne sont pas les "actual occurrences of events", mais des "virtual occurrences" qui, de façon très curieuse, "coincide with the time of speaking".

Au fond nous nous retrouvons exactement dans le schéma traditionnel à ceci près que la valeur centrale y était dévolue à l'habitude au lieu d'être réservée comme chez Langacker au présent "instantané". Voilà une belle démonstration de la faillite d'une approche qui, au lieu de chercher une ANALYSE LINGUISTIQUE des formes en présence se précipite sur un appariement direct des formes et des événements du monde. Au fond , les intuitions de R.A.Close ("English as a Foreign Languade"") ou de F.R. Close ("A Linguistic Study of the English Verb") étaient plus parlantes et pédagogiquement plus valables que les explications alembiquées du cognitiviste patenté!

On ne sera pas étonné que des énoncés comme ceux que j'ai cités ci-dessus restent inexpliqués et qu'un énoncé comme le suivant :

Nixon says farewell from the steps of his helicopter

soit renvoyé purement et simplement au "historical present"! Nihil novi sub sole !

Quant au "habitual present" des manuels traditionnels on va le retrouver derrrière une formulation revue et corrigée. Un énoncé comme

The earth revolves round the sun

est classé parmi les "generalizations about the world's structure" . Il en irait de même , je présume, de "the sun rises in the East" .

Bien évidemment Langacker ne pouvait passer sous silence l'opposition Present Simple / Présent Progressif. Les participants du Colloque ont là également été cruellement déçus: ils ont eu droit en effet aux stéréotypes bien connus: proès imperfectif non-borné versus procès perfectif borné . C'est ainsi que la paire minimale

I am living/live in Chicago

exprime l'opposition "temporary/permanent" . Comment va-t-il rendre compte à ce tarif-là d'un énoncé comme

I am living in Chicago permanently now ?

L'opposition simple / progressif , il va de soi, ne porte que sur le verbe seul, et nous voilà revenus au bon vieux temps où les choses étaient simples , diraient certains de mes détracteurs! Oui mais, comment Langacker nous expliquera-t-il l'énoncé qui figure à la page 6 de son exemplier:

Jason was worried. The auditors were coming tomorrow ?

Me revient à l'esprit un énoncé de F.R. Palmer qui avait semé la panique chez les enseignants d'anglais :

I was leaving tomorrow, but now I won't.

Mon lecteur se reportera à mes écrits proposés in extenso dans les pages de ce site , en particulier à l'analyse que je propose de la paire minimale:

I leave tomorrow / I'm leaving tomorrow

Où TOMORROW a le statut rhématique dans le premier énoncé (choix paradigmatique ouvert) et le statut thématique dans le second(choix paradigmatique fermé; -ING porte sur LEAVE-TOMORROW).

Dans ma "Genèse et Développement d'une Théorie Linguistique" (Ed.la TILV 1996) j'avais déjà montré l'inadéquation de la grammaire cognitive de Langacker face à une paire minimale qui avait fait l'objet d'une tentative infructueuse vingt années auparavant (Martin JOOS 1964). Voici l'objet du délit :

a) The baby resembles his father.

b) The baby is resembling his father more and more every day (chez Langacker le sujet de ces uénoncés est J.P.) .

Ici comme partout ailleurs le verbe est examiné isolément; on va donc essayer de rendre compte de l'opposition resembles/is resembling. Tout ce que Langacker nous dit c'est que que la deuxième forme est "plus emphatique" que la première (ce que Joos avait lui-même dit en 1964). Voici le commentaire verbatim de Langacker :

"RESEMBLE in (9a) (ici (b) ) is inchoative and describes an increase in degree of similarity, in contrast to the constant degree of similarity imputed by (6a) (ici (a)). Sans commentaire sauf qu'une prise en compte de la portée de-ING tel que je le proclame depuis vingt-cinq ans montrerait de façon lumineuse que dans l'exemple (b) il s'agit du prédicat RESEMBLE HIS FATHER et non pas du seul verbe RESEMBLE.CQFD.

Langacker va faire des efforts surhumains (mais vains) pour venir à bout d'une autre paire minimale qu'il se donne aux pages 255-56 du premier volume de sa "Cognitive Grammar"/

c) this road winds through the mountains

d) this road is winding through the mountains

Claude Delmas a cité ces énoncés dans la communication que j'ai examinée plus haut (Journée d'Etude) mais n'a pas stigmatisé l'absence de toute analyse linguistique face au problème posé. Langacker essaie de s'en sortir en faisant de WIND tantôt un verbe imperfectif tantôt un verbe perfectif, ce qui ne résout rien même en admettant que cette pratique soit licite, ce qu'elle n'est pas. L'auteur essaie également de faire jouer l'opposition partie/tout , très souvent mise en avant de ce côté-ci de l'Atlantique.Toujours l'assignation directe de notions sémantiques plaquées sur des formes grammaticales qu'il faut avant tout analyser et non nommer.

L'assistance s'attendait à ce que j'intervienne à l'issue de la conférence de Langacker : tous les regards étaient braqués sur moi , on allait assister à une belle empoignade. Je m'abstins de tout commentaire cependant, estimant que ma propre conférence quelques heures plus tard allait me permettre toutes les mises au point qui s'imposaien (voir le texte intégral de mon exposé plus haut sous le titre : " The Architecture of English Grammar, from the Theory of Phases to the Principle of Cyclicity".